Lors de l’anniversaire de la Manufacture HETSR, il y a quelque temps, j’ai été très frappé par les mots de Anne Teresa De Keersmaeker qui a dit quelque chose comme «let us take dance seriously».

 

Prendre «quelque chose» sérieusement, c’est pour moi m’y impliquer franchement. Sans limites, avec peut-être une forme de distance, mais toujours en prenant le temps de faire les choses bien, avec qualité, lentement, sûrement, rigoureusement.

 

Ce discours tombait quelques jours après avoir pris la décision formelle, communiquée depuis aux intéressés, de réduire les activités de ce qui est devenu «mon» bureau d’administration culturelle.

 

Au cours des dernières années, j’ai accepté de plus en plus de mandats, m’entourant depuis d’excellent.e.s collègues pour soutenir la charge de travail. Mon ambition était d’offrir un service d’administration, une structure stable et solide, à des artistes «d’arts vivants contemporains», «émergents» pour la plupart. Je pensais – et je le pense toujours – que rassembler les forces dans le domaine de l’administration culturelle permet aux artistes d’économiser du temps, des ressources, de se décharger de tâches pour lesquelles elles ou ils n’ont pas franchement de passion, d’accéder à des compétences partagées, etc., tout en permettant aux administrateurs de lisser leurs revenus sur l’année et de faire de leur activité un métier.

 

Je pense toujours que la base de cet axiome est vraie.

 

Néanmoins, j’ai découvert deux conséquences à la concentration administrative que je n’attendais pas, bien pourtant qu’évidentes, a posteriori. La rationalisation qu’implique la concentration administrative – du moins celle que j’ai essayé d’opérer – est bêtement ennuyeuse au quotidien, pour les artistes d’une part qui doivent parfois avoir l’impression d’appeler le central d’un opérateur téléphonique lorsqu’ils cherchent une information («Bonjour je suis en tournée !» / «Bonjour je ne réponds pas, car j’essaie de me concentrer sur le budget de création d’une autre compagnie !»), et pour l’administrateur d’autre part, qui finit par résumer son travail au remplissage infini de formulaires divers et (pas tellement) variés, sans plus avoir le temps de se concentrer sur l’essentiel et l’intéressant (la gestion, la stratégie, la communication, le conseil, que sais-je: tout sauf des formulaires en PDF). Par ailleurs, et c’est la deuxième conséquence inattendue pour moi, construire et mener un bureau d’administration culturelle rationalisée revient à gérer une entreprise culturelle en plus des compagnies que nous sommes sensés accompagner. Et j’y vois une certaine forme de dissonance, comme si prendre du temps pour gérer «mon entreprise» m’empêchait de gérer les compagnies de mes «clients».

 

Comme si je ne pouvais pas mener toutes ces activités de front, sérieusement.

 

Sans donc revenir sur des questions essentielles que sont la professionnalisation de l’administration culturelle dans la culture indépendante des arts vivants, de son financement, de l’attrait de ce métier auprès d’une forme de relève administrative, je constate que s’il est probablement possible et bénéfique dans certaines circonstances de créer une structure d’administration culturelle centralisée (des exemples existent), rationnelle, efficace, ce travail-là, moi, je ne suis pas capable de le faire sérieusement.

 

Petit à petit, une grande partie des compagnies avec qui nous travaillons aujourd’hui vont chercher de nouvelles personnes, qui pourront sérieusement prendre en charge leur travail d’administration, de diffusion, de gestion, de manière différenciée, personnalisée.

Et pour ma part, peut-être aidé encore par des collègues que j’espère aussi formidables que ceux avec qui je travaille ou ai travaillé jusqu’à maintenant, je vais réduire le champ d’action de «mm – administration culturelle» à quelques compagnies, et travailler avec elles de manière plus approfondie, plus impliquée.

Sérieusement.

 

mm –

tour management & production